Votre panier est actuellement vide !
La mère antillaise

Est-ce que mes enfants pensent que je suis une superhéroïne ? Une femme aux yeux derrière la tête, à l’ouïe ultra-fine, capable de lire dans les pensées et de communiquer d’un simple regard ?
Pendant bien trop longtemps, oui.
Aujourd’hui, je n’ai plus envie qu’ils héritent d’attentes trop élevées, ni d’une charge mentale pharaonique.
Car si, c’est vrai, les mères en faisons déjà beaucoup trop, la mère afro-caribéenne, elle, bat des records : levée avant tout le monde, couchée la dernière, pilier central — « poto mitan » du foyer — elle cumule tous les rôles d’une entreprise… dans laquelle le père, si il est présent, peine encore, souvent, à faire sa place.
Être une “bonne mère antillaise” : un mythe tenace
Qui ne voudrait pas être une Wonder Woman ? Elle agit, elle ne courbe jamais l’échine, elle est de marbre face à l’adversité, elle trouve toujours des solutions, tu peux compter sur elle jour et nuit.
Bien sûr que moi aussi je rêvais d’être cette guerrière, d’avoir du cuir à la place de la peau, de construire de mes mains mon foyer, d’être le pilote, l’hôtesse et le technicien.
Je voyais ma grand-mère Mamie Maxence comme une sainte déesse, qui, malgré mes phobies alimentaires, me concoctait toujours des repas à part, qui me plaisaient.
Malgré le travail que demandait de nourrir une maisonnée bien remplie, d’effectuer les tâches ménagères, d’avoir du temps pour les autres, de me coudre des robes (en effet j’ai été une petite fille bien gâtée), de regarder son ‘american drama’, et d’effectuer son étude biblique, sans compter sa participation à la vie de son église.
J’ai vu ma mère se dépasser, seule avec ses trois enfants, travaillant de nuit, pour être présente le jour, au détriment de sa santé.
Cherchant toujours à nous faire découvrir le monde, la culture, préparant chaque weekend des soirées pizzas où elle conviait ses cousines et donc nos cousins.
Alors pour moi, ce n’était pas un mythe, mais une réalité. J’ai embrassé ce rôle avec fierté, dévouement, amour, ainsi que tous les sacrifices qui l’accompagnent.
L’héritage culturel et religieux qui pèse sur les mères afrodescendantes
Et comme le Christ qui se sacrifie sur la croix, nous nous devons de nous sacrifier pour nos enfants. D’ailleurs, la maternité de Marie n’en a-t-elle pas fait une sainte ?
Bien avant de devenir une mère, en devenant une femme, on nous fait bien comprendre qu’à l’instant où nous avons nos règles, notre monde change.
Consentantes ou non, nous perdons notre statut d’enfants et devenons des reproductrices, des possibles pécheresses.
Il nous faut donc faire attention, doublement attention, car dans tous les cas, ce serait de notre faute, de notre responsabilité.
L’homme, même en cas de violence, serait à peine mis en cause, on minimisera sa responsabilité.
Et même quand nous avons respecté toutes les cases — la virginité jusqu’au mariage, les attentes démesurées — et que l’homme finit par partir, vous aurez toujours le glas de l’injustice sociale : ce sera de votre faute, vous n’étiez pas assez.
D’ailleurs, spoiler alert : vous ne le serez jamais, quand bien même vous réussissez seule à subvenir aux besoins de votre tribu.
La maternité à l’épreuve des injonctions modernes et des réalités économiques
À cela s’ajoute aujourd’hui Internet.
Rihanna, notre Marie moderne, Lady boss devant l’éternel, peut faire un concert en étant enceinte, allaiter entre deux interview, tout en prenant la tête de l’industrie cosmétique, en soutenant le père de ses enfants et en affichant une beauté, une sensualité, une aura qui pousse à lui baiser les pieds.
Alors honnêtement, au moment où j’écris cet article, il est 11:17, ma tête est à l’envers après une matinée chargée en semaine. Je me suis fait une petite pause et guess what ? J’avais cette petite voix (avec un accent créole of course) qui me disait : “Ou pa ni dòt biten pou fè ?” — Tu n’as pas d’autre chose à faire ?
Oui, je me soigne, je prends des pauses et je m’écoute, mais j’ai grandi avec cette épée de Damoclès. Depuis que j’étais devenue femme, toute paresse devenait suspecte. On s’en fiche que tu sois en pleine croissance et que donc tu aies besoin de dormir. Dormir, c’est égal à “je te prépare une sacrée surprise aussi mignonne que bruyante”.

Sans compter un autre petit problème que nous avons : celui où l’on ne fait pas de compliments, cette pudeur condescendante. Alors dire “je t’aime” à son enfant… ça sera pour un prochain article.
Résumons : quand tu ne fais rien, tu es coupable, et quand tu fais, tu ne fais jamais assez.
Et puis si la fille d’untel ou la cousine réussit mieux que toi, on n’oubliera pas de te le notifier insidieusement. Car nous devons être la mère qui doit prendre en charge à 200 % son foyer, mais nous devons également nous illustrer par notre réussite, être un modèle 2.0.
Mais comment ? Mais comme la fille d’untel.
Bref, tu ne seras jamais en Champions League… en tout cas pas si tu continues à jouer avec les mêmes règles que nos anciennes.

Maman antillaise solo, pilier de la famille : une force… et une fatigue invisible
Les mères antillaises et africaines : des figures maternelles “sacrées” et surresponsabilisées
Nos anciennes, des superwomans, oui, mais à quel prix. Qui leur a demandé quels étaient leurs rêves, leurs inspirations, leurs identités, leurs besoins ? Elles n’étaient pas qu’un maillon mais le moteur.
Mais pour qui ? Certainement pas pour elles.
Pour beaucoup d’entre elles, de maris ingrats, profitant largement de ce statut pour se soustraire de l’équation parentale, obéissant aux mêmes règles stupides : ne pas trop complimenter pour qu’elles ne soient pas condescendantes, ou par peur qu’elles ne voient leurs propres fragilités.
Elles se donnaient corps et âme, et eux, témoins passifs ou absents suspects, parfois jonglant avec plusieurs candidates.
Par contre, ils ne se seraient jamais gênés pour remarquer un manquement, une sauce ratée, un poulet trop cuit, ou un enfant pas assez docile.
Charge mentale, charge affective : tout repose sur ses épaules
Alors elle met tous ses doutes, ses peurs sous le tapis, et en même temps tout ce qui fait d’elle un être d’émotion. C’est une machine qui accomplit toutes ses tâches. Au lieu d’avouer qu’elle fatigue, elle s’endurcit, son visage devient de marbre, elle n’a plus le temps de jouer, elle ne s’écoute pas donc elle n’écoute pas.
Elle ne s’octroie pas le droit de négocier, alors pourquoi elle laisserait sa progéniture, à qui elle donne tout, le faire ?
D’ailleurs, comme c’est une machine qui marche, tu as grand intérêt à marcher droit aussi. Hors de question que tu ressembles à untel qui a mal tourné (la majorité du temps, “mal tourné”, c’est faire de sa vie une priorité et dire, désolé de l’expression, “chier merde” aux autres, aux injonctions. Spoiler : I’m guilty).
Et de toute façon “ou chèchew”, “tu l’as cherché”, tu n’as pas suivi les instructions, un déferlement de violence (verbale ou pire physique) et “pa pléré”, “ne pleure pas”, elle te donne tout, elle t’a donné la vie, elle fait tout pour ton bien.
Vous pensez que c’est d’une autre époque ? Juste tapez #meresantillaises.
Quand l’épuisement devient la norme et la vulnérabilité un tabou
Mais nous ne sommes pas des machines, et même les machines à trop être utilisées s’écroulent. Donc, je sais que tu affiches en public un sourire radieux ou un air patibulaire. Chez nous, pas de juste milieu. Un peu comme Mona Lisa : tu penses bien dissimuler toutes tes failles.
Vulnérabilité ? “An bitin a blanc !”, “un truc de blanc” : vois ça dans les films, pas dans nos familles.
Tu t’épuises mais tu n’es pas un tableau de Da Vinci. Et si tu ne nettoies pas sous le tapis…
Selon ma mamie Rosette, sa mère, mon arrière-grand-mère, serait morte d’un coup de colère ? Moi-même, et pourtant je me soigne, ai des poussées de tension inexpliquées. Selon mon cardiologue, c’est la grande maladie des Noirs.
Et il n’y a pas que ça : fibromes utérins, cancers du sein, diabète et troubles endocriniens, complications obstétricales, myélome…
Tu ne parles pas, tu gardes tout, mais ton corps, le temple de ton âme, ne ment pas.
L’enfant miroir : quand nos blessures d’enfance rejouent dans notre maternité
Et nous sommes nombreuses à vouloir désencrasser le #mereantillaise, déconstruire les mythes, les injonctions, les attentes impossibles de la mère afro-descendante. Et cela commence par soigner notre enfant intérieur.
Vouloir réparer ce qu’on a vécu : piège ou moteur ?
Première étape : on a pris conscience qu’il nous fallait changer, évoluer. Car il y a beaucoup de bons dans nos héritages : nos valeurs, nos traditions, notre humour cinglant (avec parcimonie… je ne dirais pas à ma fille, si elle est encore célibataire à 26 ans, qu’elle n’a plus d’argus😭😹).

Construire un nouvel archétype en acceptant notre vécu sans tomber dans le piège du transfert. Valérie (votre hôte), c’est Valérie. Ce n’est ni Kimi, ni Mili, et encore moins Duc (vous sentez que mon fils porte bien son prénom ?⚜️).
En devenant mère, j’ai pris une décision : la violence s’arrêterait ici. C’est bon, j’estime que nos ancêtres et moi-même avons assez donné. Un enfant reste un enfant, celui qui ne sait pas et qui apprend. Tout comme quand il a été le plus beau bébé du monde, qui, lors de son apprentissage de la marche, tombera, se lèvera, retombera et se relèvera. Son éducation sera en dents de scie, avec des hauts et des bas!
À moi de prendre soin de moi, d’apprendre à gérer ma colère différemment. Car mes réactions, mes émotions, sont miennes. Mes enfants n’en portent pas la responsabilité.
Alors non, je ne suis pas Rihanna. Je ne suis pas une maîtresse bouddhiste. Je m’énerve, je peux crier, mais je vais m’excuser. Le plus souvent, on est dans la grimace, le regard réprobateur qui parle sans mot, le soupir… et je reformule mes demandes en créole. Il y a une épigénétique là-dessous, une peur primaire. Donc mes enfants rigolent… mais avec un frisson dans le dos🤣.
Je leur raconte mon enfance, celle de mes parents. Si j’avais fait comme toi, il se serait passé ça. Pour être honnête, pendant longtemps je minimisais. Quand ils m’ont dit pour la première fois que c’était triste, mon enfance, j’ai compris qu’il y avait plein de choses qui n’allaient pas.
Je ne fais pas le procès de mes parents. J’ai conscience que, pour eux — enfin pour ma mère — elle avait fait bien mieux que ce qu’elle avait eu. C’est vrai. Et il n’y a pas de formation obligatoire à la parentalité.
J’ai juste envie de vous dire : on mérite tellement mieux. Et nos enfants, bien plus.
Être une mère consciente face aux schémas familiaux
Il s’agit aussi de laisser la place aux pères. Parfois, c’est tout un rôle à construire pour eux. Oui, il y a de fortes chances qu’on fasse mieux et plus rapidement… mais qu’est-ce qu’on a dit ? Slow life. On ralentit, on profite, on regarde avec bienveillance et on les laisse se débrouiller tout seuls pour NE RIEN FAIRE, prendre soin de nous.
Et oui, il y aura la voix avec accent ou en VO, encore pire. Les gens les plus proches vous reprocheront de ne pas suivre nos anciens diktats… Et tu sais quoi ? TU ÉCRIS TA PROPRE HISTOIRE. Personne d’autre ne la vivra à ta place. Alors n’endosse pas un rôle qui aura ta peau, ta santé mentale.
Comment accueillir nos limites sans se juger ?
Dernièrement, la médecin m’a alertée par rapport à un arrêt de croissance de ma fille. Devinez qui a bien culpabilisé et a remis toute sa vie en question ?
C’est normal. Dakar ne s’est pas construite en un jour (oui, on adapte), et ressentir toutes ses émotions entremêlées d’angoisses, c’est OK. À condition de ne pas s’y perdre, d’en faire une obsession et de revenir à la machine qui ne veut pas ressentir pour agir.
On peut agir et ressentir. On est humains, des êtres d’émotions !
Alors pour ma part j’écris beaucoup le matin (hello si tu veux télécharger gratuitement mon carnet du matin) et je n’oublie pas de m’écouter.
Se réconcilier avec la mère antillaise qu’on est : vulnérable, puissante, unique
Changer de regard sur soi : de la perfection au lien authentique
Car être vulnérable ne nous enlève pas notre puissance. Elle la décuple. Ce n’est qu’en nous acceptant pleinement qu’on peut accepter les autres : leurs qualités comme leurs défauts, leurs faiblesses et leurs forces sans les jalouser.
Untel a beau être Rihanna, on va la trouver magnifique, inspirante, sans se comparer. Chacune est unique.
Je suis une mère qui aime inventer des histoires, les activités manuelles et aller voir des expos, et qui déteste entendre “qu’est-ce qu’on mange ce soir ?”. Peut-être que tu es une mère qui aime coiffer, préparer des succulents repas ou qui fait des marathons, mais qui n’apprécie pas la pâte à modeler (après tout, ton tapis est magnifique et ne mérite pas ça).
Nous sommes toutes différentes et avons toutes une histoire singulière à écrire avec nos enfants, qui peut-être, demain, choisiront de s’en inspirer… ou de faire tout à fait différemment. Et c’est OK.
La force des pauses et des cercles de parole entre mères
Et ce serait magnifique que l’on organise des cercles de parole pour les mères de notre communauté. Que l’on puisse échanger, partager nos expériences, nos traumas en toute bienveillance. Dites-moi en commentaire ce que vous en pensez ?
Si tu ne devais retenir qu’une chose de cet article, ce serait de prendre soin de toi, de t’écouter et de ne plus omettre de prendre des pauses pour toi.
Car tu n’es pas qu’une mère. Tu es, avant tout, TOI. La maternité n’est qu’une facette (énorme certes) de toi.
Être maman, ce n’est pas facile. C’est une vocation qui nous pousse, bien avant l’arrivée de l’enfant, à nous dépasser, et même souvent à nous mettre de côté.
Et si fêter les mères, c’était aussi leur donner le droit de respirer ?
On arrive à la fin de cet article et j’aimerais t’inviter, pour cette fête des mères, à t’offrir le droit de respirer, d’être, d’incarner celle que tu souhaites, de te libérer en t’offrant de l’amour.
Surtout pour celles qui vivent cette grande aventure de la maternité, seules. Chez nous on dit : “tchimbé raid, pa moli” — “reste ferme, ne t’affaisse pas.” mais tu as le droit de ne pas être au top tous les jours. De pleurer. De demander de l’aide. Même si on est taquins, nous sommes une belle communauté : généreuse, soudée.

Amoureuse des instants simples, Valérie partage une autre manière de vivre : plus douce, plus consciente, plus libre.À travers son blog Une pause pour moi et son podcast Une pause pour exister, elle t’invite à ralentir, à respirer, et à retrouver l’essentiel au fil de ton propre rythme.Son mantra : « Prendre le temps, c’est prendre soin de soi.
Laisser un commentaire